Actualités

Partager sur :

Loi sur la communication audiovisuelle, kézako ?

11 mai 2020 Juridique
Vue 213 fois

Le Président de la République, dans son allocution du 6 mai présentant son "plan pour la culture", a évoqué comme piste de solution la rapide transposition en droit français de la directive SMA. Franck Riester, ministre de la Culture, interviewé le même jour, en évoque rapidement les avantages pour la Culture.

Quel est le sujet de cette loi, qui doit transposer en droit français la directive droit d'auteur du 17 avril 2019 ? Où en est on aujourd’hui ?

 

La Directive Droit d’Auteur.

La Directive 2019/790 du 17 avril 2019 « sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique » est un texte ayant pour objectif d’adapter la réglementation relative au droit d’auteur aux nouvelles modalités de diffusion des oeuvres (en particulier numériques), et d’inciter les plateformes de diffusion à rémunérer les auteurs. Les règles européennes sur le droit d’auteur  et les services sur internet datant du début des années 2000, l’évolution des technologies numériques avaient transformé la manière dont les oeuvres protégées sont créées, diffusées et exploitées. Les agrégateurs de contenus, les plateformes de diffusion, les moteurs de recherches sont en effet devenus les principales sources d’accès aux oeuvres protégées.

 

L’article 15 (ex-article 11) de ce texte crée un droit voisin pour les éditeurs et agences de presse, leur ouvrant un droit à rémunération pour l’utilisation de leurs contenus par les moteurs de recherche (Google News…) et les réseaux sociaux (Facebook, LinkedIn…). L’article 17 (ex-article 13) rend les plateformes responsables des contenus qu’elles hébergent, les obligeant à contractualiser avec les auteurs ou leurs représentants pour obtenir (contre rémunération équitable au vu des bénéfices qu’en retire le diffuseur) une autorisation de diffusion de leurs oeuvres. La directive normalise le régime des licences collectives étendues, qui permet aux organismes de gestion collective représentatifs de la catégorie d’oeuvres concernée de conclure des accords pour ses membres mais aussi pour les non-membres, pour un domaine d’utilisation défini.

 

Des exceptions à ce principe demeurent : les GIF, les mèmes, les mots isolés ou les très courts extraits. Par ailleurs, certains diffuseurs sont exclus de ce régime nouvellement durci : les établissements d’enseignement, les organismes de recherche et les institutions du patrimoine culturel (bibliothèques, musées… pour leurs fouilles de textes et de données), les petites plateformes (moins de 3 ans, de 10 M Euros de CA, de 5 millions de visiteurs mensuels)

 

Ce texte, négocié au sein des instances européennes durant près de 2 ans et demi, a soulevé les passions, particulièrement chez les acteurs les plus concernés : Google, YouTube, Facebook… qui ont soulevé le risque d’une « censure du net ». Ils doivent en effet créer ou optimiser un algorithme pour empêcher la diffusion des oeuvres protégées pour lesquelles aucun accord n’aura été trouvé, et le risque d’autocensure est non négligeable. Par ailleurs, ce texte soulève la question du rôle et de l’impartialité/efficacité des OGC dans la répartition entre auteurs des revenus générés par la diffusion sur les plateformes et agrégateurs.

 

La transposition en droit français de l’article relatif au droit voisin

La France a transposé rapidement par la loi n° 2019-775 du 24 juillet 2019 les dispositions de la Directive relative au droit voisin des éditeurs et agence de presse. Ainsi, depuis le 25 octobre, les diffuseurs en ligne ne peuvent reproduire ou communiquer au public des communications de presse sans obtenir l’autorisation (contre rémunération) des éditeurs ou agences de presse titulaires des droits, exception faite des mots isolés, très courts extraits ou hyperliens. Cette loi avait pour objet de partager la valeur créée. 

 

Mais Google a rapidement contre-attaqué, et contourné les disposition de cette loi, en décidant unilatéralement de retirer de ses pages de résultats les extraits et photos des articles de tout éditeur ou agence de presse qui n’aurait pas contractualisé avec elle, lui cédant sans contrepartie financière les droits d’utilisation de ces contenus. Or les éditeurs sont en état de dépendance économique vis-à-vis de Google, cette dernière disposant d’une situation dominante sur le marché des recherches internet (90% des parts de marché). De fait, entre 40% et 60% de l’audience numérique des grands médias français provient de ce moteur. En pratique, les éditeurs ont consenti à Google des licences gratuites sans négociation ou rémunération possible, offrant à Google plus de droit de reprise des contenus qu’auparavant.

 

 

Les éditeurs de presse, par le biais de leurs représentants et syndicats ont saisi l’Autorité de la concurrence pour qu’elle prennent des mesures conservatoire face à cette décision.  Dans une décision le 9 avril dernier, l’Autorité a constaté l’existence d’une atteinte grave et immédiate au secteur de la presse dans un contexte de crise majeure de ce secteur, qui prive les éditeurs et agences de presse d’une ressource vitale pour assurer la pérennité de leurs activités. Elle a prononcé des mesures conservatoires permettant aux éditeurs et agences de presse, d’entrer en négociation de bonne foi avec Google, dans une période de trois mois à compter de la demande de l’éditeur ou de l’agence de presse et intégrer au titre de la rémunération la période courant depuis le 24 octobre 2019. Pendant la période de négociation, Google devra maintenir l’affichage des extraits de texte, des photographies et des vidéos selon les modalités choisies par l’éditeur ou l’agence de presse concernés. 

 

Les autres dispositions de la Directive : projet de loi relatif à la communication audiovisuelle

La transposition des autres articles de la Directive, et en particulier le fameux article 17 (ex-13 qui avait fait couler tant d’encre lors des débats passionnés précédant son adoption) est intégrée dans le projet de loi relatif à la communication audiovisuelle, porté par Franck Riester. Ce projet contient des dispositions visant à renforcer la protection et la rémunération des auteurs et artistes, de promouvoir la création et la diversité culturelle, d’améliorer les moyens de lutte contre la contrefaçon sur internet (sites de streaming ou de téléchargement)

 

Les plateformes fournissant un service de « communication au public en ligne » d’une quantité importante d’oeuvres ou objets protégés en vue d’en tirer un profit (les plateformes de partage, donc, comme YouTube ou DailyMotion) devront, sous peine poursuites pour contrefaçon, fournir leurs meilleurs efforts pour obtenir avant diffusion l’autorisation des titulaires de droits et lutter contre la présence de contenus protégés non autorisés. Les plateformes vont donc devoir mettre en place un filtrage des contenus. Les auteurs bénéficieront d’un mécanisme de réajustement de leur rémunération. La mention du nom des auteurs d’une œuvre audiovisuelle sur ses supports d’exploitation deviendra obligatoire. (article 20 bis du projet de loi). 

 

Une nouvelle Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (chargée des missions du CSA et de l’Hadopi) établira une liste des sites portant atteinte de manière grave et répétée au droit d’auteur et aux droits voisins. Cette liste permettra de mettre en cause les acteurs qui interviennent ou facilitent l’accès à des contenus illicites (monétisation des contenus, référencement, publicité sur ces sites).

 

Le CNC conditionnera ses aides au respect de la protection des auteurs et de leurs oeuvres par les sociétés de production. Il sera garant de la défense du régime de droit moral et patrimonial des auteurs, face au régime de copyright américain qui rend l’exploitant propriétaire de l’oeuvre. Le CNC sera financé par tous les diffuseurs de contenus, y compris les plateformes et services vidéo en ligne américains (ex.  : Netflix, Amazon video…) qui devront investir 25% de leur chiffre d’affaires dans la production française. Ces acteurs devront également respecter les quotas de diffusion d’oeuvres françaises ou européennes. 

 

Le Service public audiovisuel va accélérer sa réorganisation : France Médias regroupera France télévisions, Radio France, France Médias monde et l’INA (mais pas Arte ni TV5 Monde). 

 

La réforme prévoit aussi des mesures vidant à encourager la présence des annonceurs sur les productions audiovisuelles, et desserrant les contraintes pesant sur les chaînes pour ne pas pénaliser les médias traditionnels face aux nouveaux acteurs du numérique.

 

 

 

A suivre.

Le processus d’adoption du projet, sur lequel les discussions avaient débuté le 2 mars en commission des affaires culturelle à l’Assemblée nationale, a été ralenti par la crise sanitaire.  Le ministre de la Culture a réaffirmé le 6 mai dernier son attachement à cette loi, dont il souhaite l’adoption « avant la fin de l’année 2020 ». Reste à savoir dans quelles conditions cette loi pourra être examinée, puis discutée et votée étant donné le contexte actuel. Il appartient aussi au législateur et au gouvernement de déterminer s’il convient de faire évoluer le projet de loi pour tirer les leçons de la crise actuelle.

 

Par ailleurs, les exceptions au droit d’auteur et aux droits voisins, qui sont prévues par la directive au profit de la recherche, de l’enseignement et de data mining, ainsi que celles relatives aux oeuvres indisponibles et aux OGC feront l’objet d’une transposition par ordonnance, après l’adoption de la loi relative à la communication audiovisuelle. Alors même que ces mesures sont déjà partiellement présentes en droit français, ces exceptions représentent un enjeu économique qu’il est important de ne pas négliger.

 

 




Aucun commentaire

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire. Connectez-vous.

Proposer une actualité