Du 8 au 28 novembre, l’UPP – Maison des photographes accueille l’exposition des cinq lauréats de la Bourse Laurent Troude
Le photojournaliste Laurent Troude a travaillé toute sa carrière dans la presse. Il a commencé à 20 ans à L’Humanité avec de la photographie sociale, avant de collaborer à L'Équipe, puis à Libération en 1996 qui a été sa maison pendant plus de vingt ans. Sa photographie se remarque souvent au premier regard, vision décalée d’un événement, angles inédits, manière sans concessions et humaine de portraiturer le monde politique et ses acteurs. A sa disparition en 2018, à 50 ans, une association à son nom a été fondée pour lancer une bourse destinée à aider des photographes de moins de 30 ans avec des projets sur le territoire français.
La Bourse a été possible grâce à plusieurs partenaires, Libération, la Saif, Divergence Images, le festival ImageSingulières et enfin l’UPP qui permet aujourd’hui de présenter les sujets de ses cinq premiers lauréats: Théo Combes avec Noire Méditerranée (2019), Cédric Calandraud avec Le reste du monde n’existe pas (2020), Arthur Mercier avec Icare (2021), Paul Baudon avec Une péninsule (2022) et Emeline Sauser avec Refuges (2023).
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Théo Combes avec Noire Méditerranée (2019)
Noire Méditerranée Si le point de départ est bien un questionnement par rapport à la façon dont la Méditerranée, de tous temps, a été espace de migrations, il ne s’agit pas, ici d’un nième « reportage » ou « documentaire » sur l’actualité dramatique de cette situation qui traverse l’actualité. Théo Combes a décidé, entre Port-Bou et Menton, d’effectuer un voyage qui est un questionnement ouvert, une recherche de signes, une façon d’aller à la rencontre des autres, de se laisser aller aux surprises, de profiter d’un éclat de lumière, d’interroger des espaces. Son voyage n’est pas celui d’un migrant mais celui d’un regardeur attentif qui cherche à percevoir – peut-être même à comprendre – comment le territoire a été marqué par l’histoire, comment elle y a laissé des indices et comment, aujourd’hui, des hommes et des femmes le traversent et l’habitent. Parcours, mer, architecture, ciels, personnages, aucune hiérarchie entre des genres ou des situations, simplement des notes, des sentiments, des souvenirs d’instants particuliers. Le choix du noir et blanc, d’une écriture instinctive – avec des cadrages fermes – et d’un grain qui fait vibrer les gris et nous fait partager les émotions. Une photographie qui ne cherche pas à démontrer ou prouver mais qui, sensible, est en permanent questionnement.
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Crédit photos : Théo Combes
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Cédric Calandraud avec Le reste du monde n’existe pas (2020)
Ils et elles s’appellent Anthony, Océane, Loïck, ont entre 15 et 25 ans et habitent les villages d’une France éloignée des comptoirs de la mondialisation et des circuits de tourisme, au coeur de la Charente- Limousine. Comme beaucoup d’autres régions rurales françaises, la leur a connu des fermetures d’usines, la disparition d’un certain monde paysan, le désengagement des services publics... Chaque recensement
constate l’érosion de sa population. De même, à la fin de l’adolescence, on assiste à l’éclatement d’une génération avec environ un tiers des jeunes qui partent vers la ville. Pourtant, comme eux, certains restent et perpétuent un style de vie rural et populaire.
Ils et elles sont apprenti.e.s, assistantes maternelles, caristes, caissières. Pendant leur temps libre, ces jeunes se retrouvent « chez les uns les autres », au terrain de motocross, ou sur les berges de la rivière. Les samedis soir, ils vont danser au Galion la dernière boîte de nuit rurale du coin, ou sortent à Angoulême « la ville loin la plus proche » où ils peuvent profiter d’un peu d’anonymat. Pour leur avenir,
les jeunes du coin comptent davantage sur leurs réseaux plus que sur les diplômes, conditionnent leur réussite à l’obtention d’un permis qu’ils se débrouillent à financer et rêvent du jour où ils vont quitter le domicile familial pour « se poser ». Ils et elles mènent des vies sur le fil, entre précarité et isolement géographique, mais des vies solidaires qui font la part belle à l’amitié, au travail et à l’entretien d’une bonne réputation.
Si je m’intéresse à cet âge charnière entre 15 et 25 ans, c’est qu’il est le théâtre d’un double passage : de la fin de la scolarité à l’entrée sur le marché du travail, du départ du domicile parental à la formation du couple et à la constitution d’une famille. Cette période décisive dans la vie l’est encore plus quand on habite en milieu rural : les trajectoires et les destins qui se construisent mettent en lumière les inégalités spatiales qui fragmentent la jeunesse française aujourd’hui au même titre que les inégalités sociales.
Le projet a obtenu la Bourse Laurent Troude (Libération et SAIF) en 2020, la Bourse de soutien à la photographie documentaire du Centre National des Arts Plastiques en 2021 et la Bourse Radioscopie de la France du Ministère de la Culture et de la BNF en 2022.
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Crédit photos Cédric Calandraud
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Arthur Mercier avec Icare (2021)
Icare se dit maraîcher, boulanger, éleveur mais jamais il ne se dit agriculteur. Icare est paysan. La terre qu’il cultive est celle de Leyssart, minuscule hameau girondin qui l’a vu naître. La vie en caravane à l’orée des bois et le travail acharné réduisent Icare à l’isolement et lui imposent des conditions de vie cruelles.
En attendant que ses affaires prospèrent suffisamment pour lui permettre de finir les travaux de sa maison, il lutte contre sa peine en cultivant une mythologie où cohabitent difficilement la puissance mystique du monde sauvage, une étrange pensée nationaliste et ses propres rêves chevaleresques d’enfants.
Au cœur de son royaume, Icare incarne la survie d’un mode de vie ancestral et d’un lien à la nature laissés par tous à l’abandon.
La vie d’Icare est extraordinaire.
Dépositaire de la tradition familiale il porte en lui tous les codes de son milieu mais trace néanmoins sa propre route. Contrairement à la coutume, il n’a pas repris l’exploitation familiale. Il est reparti de zéro et a monté sa ferme de toute pièce. Icare a grandi avec internet, est influencé par la culture manga, et pétri son pain en regardant des documentaires Youtube. Son entreprise est née à l’heure du Bio, des circuits courts et des premières AMAP. Icare est la parfaite incarnation du monde paysan contemporain. Un monde qui souffre et lutte pour sa survie, qui organise de nouvelles solidarités, trouve de nouveaux réseaux de distributions et s’adapte aux bouleversements constants de la société et du climat.
Les photos que je vous présente sont les jalons d’un travail de plus d’un an et demi. A travers ce projet je souhaite pouvoir rendre compte de l’existence si particulière de cet homme, de son travail, de sa position de paysan, de ses conditions de vie tout en parvenant à témoigner de la puissance extraordinaire de sa vie intérieur, de la charge émotionnelle qu’il porte, déploie et qui fait gravité son monde autour de lui. Raconter la force qu’Icare puise de son lien sensible à la nature, au monde sauvage et toute la spiritualité qui en découle. Avec ses souffrances, ses excès et ses réjouissances.
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Crédit photos : Arthur Mercier
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Paul Baudon avec Une Péninsule (2022)
Lorsque l’on s’intéresse au Médoc, péninsule isolée entre océan et estuaire, on observe assez vite des contrastes marqués. A commencer par celui de la dynamique des saisons qui le régit. De la fin de la saison estivale marquée par les flux du tourisme, amenant au calme désarçonnant de l’hiver.
Il y a aussi les disparités liées aux revenus et aux conditions de vie. Ce territoire se trouve à la pointe occidentale de ce que l’INSEE appelle le "couloir de la pauvreté". Et sur le plan politique, ces conditions continuent de faire le jeu du rassemblement national.
Mais au fur et à mesure apparaissent de nouveaux contrastes; notamment dans le lien singulier que l’on observe entre la nature et les humains. Si des traditions anciennes qui y perdurent ou des projets industriels imaginés semblent à contre-sens de l’époque contemporaine, le Médoc est de par son actualité rappelé à son temps. Le territoire semble devenir malgré lui un symbole des bouleversements dûs au réchauffement climatique. L’été 2022 s’est terminé par un incendie détruisant plus de 3500 hectares de forêt, quand plus tard dans l’hiver avait lieu la destruction d’un immeuble rattrapé par l’océan. Ainsi, les exploitations agricoles essentielles à ce territoire, à l’instar des grandes propriétés viticoles, se trouvent aujourd’hui plus que jamais menacées par ces aléas climatiques et la répétition de phénomènes impactant. Or, comme partout dans le monde, ces conséquences climatiques risquent à terme de creuser les inégalités déjà existantes.
Ce sujet tente donc de dresser un portrait du territoire à ce moment précis, en s’intéressant à ses particularités, ses richesses et ses problématiques.
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Crédit photo : Paul Baudon
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Emeline Sauser avec Refuges (2023)
Avec qui et où se reconstruire ? C’est la question du refuge. Bastien est déscolarisé depuis un an et demi, après du harcèlement scolaire, et une perte de sens plus profonde sur sa présence au lycée.
Il a deux refuges.
Le premier c’est sa famille, aussi volcanique qu’aimante.
Le second refuge c’est son monde intérieur, matérialisé par sa caravane dans le jardin de la maison familiale : l’endroit où il se maquille, défile, rêve de Paris et de cette autre vie qui l’attend.
Bientôt, il partira. Il lui faudra s’arracher de l’environnement familial, des transhumances, des brebis, des patous, du fromage à faire tous les jours.
Je voudrais raconter ce moment décisif au bord de l’âge adulte, et toute la fragilité de cet envol.
Tenter de saisir des choses aussi banales qu’importantes, comme l’amour, grandir, essayer d’être heureux et libres. De trouver un refuge, et les refuges sont souvent des gens.
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Crédit photos : Emeline Sauser
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