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Dépôt légal

17 juin 2025 Action UPP en cours
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La loi n° 2021-1901 du 30 décembre 2021 visant à conforter l'économie du livre et à renforcer l'équité et la confiance entre ses acteurs a créé une nouvelle modalité de dépôt légal auprès de la Bibliothèque nationale de France pour l’ensemble des contenus numériques non librement accessibles, dont l’accès est soumis à paiement et à différentes procédures d’authentification et de sécurité.
 
Le ministère de la culture (DGMIC) élabore le décret d’application, qui procède à une révision générale du fonctionnement du dépôt légal. Sa parution est attendue d’ici la fin de l’année 2025, pour une application au 1er janvier 2026. Ces nouvelles dispositions prévoient qu’à partir du 1er janvier 2026, un exemplaire de la production physique de photographies documentaires de reportage, de commandes et artistiques publiées en France soit déposé à la Bibliothèque nationale de France.
 
Ces disposition nous inquiètent, nous représentants des photographes de France, car elles méconnaissent la nature de la photographie, de son écosystème économique et de la situation des photographes.
 
De ce fait, l'UPP a adressé à son interlocutrice du ministère de la culture un courrier ayant pour objet de présenter les difficultés liées à la mise en application de ce décret. Vous le trouverez ci-dessous.
 

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Objet : Observations sur le projet de décret relatif au dépôt légal de la photographie

 

Madame,

 

Nous avons pris connaissance des documents que vous nous avez partagés, et notamment du projet de décret visant à renforcer et systématiser le dépôt légal de la photographie, et du compte-rendu de la réunion organisée le 21 mai dernier avec un certain nombre d’entités représentatives des photographes. Vous trouverez ci-dessous nos retours sur ce projet qui suscite parmi nos membres des préoccupations profondes.

 

1. Une contrainte sans équivalent dans les autres secteurs de la création,

Les nouvelles dispositions présentées dans la note « Dépôt légal des photographies » de la Bibliothèque nationale de France en date du 20 mars 2025 prévoient qu’à partir du 1er janvier 2026, un exemplaire de leur production physique de photographies documentaires de reportage, de commandes et artistiques soit déposé à la BNF. Cette exigence ferait peser une contrainte matérielle et financière considérable sur les photographes, dont beaucoup exercent dans des conditions économiques déjà précaires.

De plus, le décret ne précise ni la nature exacte du tirage attendu (épreuve de lecture, tirage d’exposition, etc.), ni le niveau de qualité ou de finition requis. Cela rend l’obligation à la fois floue, inéquitable et, pour de nombreux auteurs, impossible à satisfaire.

Enfin, si, dans le cadre du dépôt légal, les éditeurs et imprimeurs sont soumis à une obligation de dépôt, il n’a jamais été exigé d’un écrivain qu’il procède lui-même au dépôt de ses manuscrits ou de ses ouvrages imprimés. Les photographes s’interrogent donc sur la pertinence d’une obligation de dépôt légal qui leur serait personnellement imposée — une contrainte qui, par ailleurs, ne pèse sur aucun autre créateur artistique ou littéraire.

 

2. Des imprécisions juridiques et techniques majeures

Le projet présente en l’état un flou juridique préoccupant pour sa faisabilité.

  • Il ne précise pas clairement qui est tenu de satisfaire à l’obligation de dépôt, ni qui en est légalement responsable : l’auteur, le commanditaire, le tireur et/ou l’agence ? Le renvoi général aux « déposant » est source d’ambiguïté.
  • Il n’indique pas comment les œuvres photographiques seront sélectionnées pour le dépôt légal. Qui sera responsable de la sélection, et comment ces entités auront-elles la capacité de sélectionner au sein de la masse des millions de photographes publiées chaque année en France ? C’est d’autant plus important qu’une politique de « sélection » reviendrait à introduire une rupture d’égalité entre les auteurs sollicités et ceux qui ne le seraient pas, et donc entre ceux dont le travail sera conservé et valorisé et ceux voués à « disparaître dans la masse » du fait de l’accélération de la production et des flux d’échanges, ainsi que vous le formulez.
  • Il ne définit pas non plus précisément les modalités pratiques du dépôt numérique : quel format est attendu ? Quelles métadonnées doivent accompagner les fichiers ? Quelles plateformes ou protocoles doivent être utilisés ? L’absence de cadre technique rend le décret difficilement applicable. Les services de la BNF seront-ils à même d’assurer la sécurité, la préservation, la conservation et la mise à disposition de l’ensemble des photographies quand les entreprises privées aujourd’hui dédiées à cette mission limitent les flux entrants de photographies et pour autant doivent investir lourdement pour maintenir leurs capacités de gestion ?
  • Enfin et surtout, le texte ne précise jamais ce qu’il entend par le terme « photographie ». Est-il question de l’image en tant que fichier numérique ? Du tirage matériel ? D’un document de travail ou d’un objet fini, destiné à l’exposition ou à la collection ? En photographie, l’œuvre peut revêtir différentes formes, chacune correspondant à des usages, statuts et valeurs bien distincts. Cette imprécision fondamentale expose le décret à des difficultés d’interprétation majeures, aussi bien pour les photographes que pour les institutions chargées de son application.

Sans clarification, ce projet fait peser une insécurité juridique et opérationnelle manifeste sur l’ensemble de la profession.

 

3. Une conception traditionnelle de la photographie

La photographie a été intégrée au régime du dépôt légal dès 1851, à une époque où elle était considérée comme un procédé de reproduction mécanique, proche de la gravure ou de la lithographie, à l’inverse de la peinture ou de la sculpture, considérées comme créations uniques. Ce traitement différencié perdure aujourd’hui, alors même que la reconnaissance artistique de la photographie est acquise depuis plusieurs décennies.

Surtout, cette disposition méconnaît la nature singulière du tirage photographique. Contrairement aux publications imprimées, un tirage photo n’est pas un simple multiple reproductible en série. Sa valeur patrimoniale (et financière) dépend de nombreux paramètres : format, support, technique de tirage, présence d’une signature ou de cachets, appartenance à une collection, participation à une exposition. Chaque tirage est, en ce sens, une œuvre unique. À ce jour, aucun autre domaine de la création artistique ne se voit imposer une telle obligation : ni les plasticiens, ni les sculpteurs, ni même les écrivains ne sont tenus de fournir une œuvre originale aux fins de dépôt légal.

Par ailleurs, exiger un tirage papier pour le dépôt légal semble paradoxal : le format numérique est aujourd’hui toujours (sauf très rares exceptions) le format natif et authentique des productions photographiques. À ce titre, elles devraient faire l’objet d’un dépôt légal dématérialisé, à l’instar de la presse en ligne ou des œuvres audiovisuelles.

 

Recommandations

Au regard de l’ensemble de ces éléments, nous formulons les recommandations suivantes :

  • Substituer au dépôt physique sur sélection un dépôt numérique systématique, sécurisé, interopérable et pérenne, aligné sur les standards actuels de conservation.
  • Développer parallèlement une politique de commande et d’acquisition de photographies par l’État, incluant la remise de tirages dans le cadre d’une rémunération juste. Ce modèle, déjà pratiqué notamment par la BnF (cf. la récente « grande commande »), permettrait d’enrichir les collections nationales de tirages qualitatifs, tout en respectant le statut économique des auteurs et les équilibres économiques et symboliques de la filière.
  • Ouvrir une concertation approfondie avec les représentants de la profession, les institutions culturelles et les juristes spécialisés, afin de construire une réforme du dépôt légal véritablement adaptée aux enjeux de la photographie contemporaine.

 

Nous tenant à votre disposition pour échanger à ce sujet, nous vous remercions de l’attention que vous porterez à ces observations, au nom de la reconnaissance de la photographie comme création intellectuelle et artistique, et de ses auteurs comme acteurs à part entière de la création contemporaine.

 

Je vous prie d’agréer, Madame, l’expression de mes salutations.




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