Miami, not the beach - Antoine Martin
Campus Stellae - Edoardo de Ruggiero
Exposition visible du 03 au 30 octobre 2025
Deux démarches, deux géographies, une même quête.
Lauréats du Prix UPP 2024, Antoine Martin et Edoardo De Ruggiero présentent ensemble Territoires cachés, une exposition qui met en dialogue deux séries photographiques fortes et singulières.
Dans Miami, not the Beach, Antoine Martin explore les marges d’une ville saturée de clichés. Ses images révèlent une autre réalité, faite de communautés invisibilisées, de frontières sociales et d’îlots de vie préservés à l’écart du regard touristique.
Avec Campus Stellae, Edoardo De Ruggiero nous entraîne dans un voyage à pied de 1600 km aux côtés d’un jeune détenu en réinsertion. Ses photographies, nées de l’épreuve physique et de l’intimité du chemin, interrogent la résilience, la solitude et la force de la rencontre.
Entre huis clos urbain et horizon de nature, ces deux univers s’éclairent et se répondent. Territoires cachés n’est pas seulement une exposition de lauréats : c’est une invitation à franchir les limites visibles et invisibles qui nous séparent, et à découvrir ce qui, malgré tout, nous relie.
Vernissage le 03 octobre 2025 à partir de 18h30 à la Maison des photographes (11 rue de Belzunce 75010 Paris)
Miami, not the beach
Souvent résumée à Miami Beach, l’entité du Miami Dade County compte pourtant une trentaine de municipalités distinctes, chacune avec son maire et son identité : Miami, North Miami, Florida City, Homestead…
Dans cet espace multi-culturel et multi-générationnel, les communautés – latines, afro-américaines, caribéennes – occupent leurs territoires en se transformant au gré des influences, des flux migratoires et des processus de ségrégation, composant, à l’intérieur, autant de petits mondes à huis clos. Loin de l’imagerie attachée à la péninsule scintillante et dorée du bord de mer, « Miami, not the Beach » est un projet personnel qui se frotte à l’identité de cette métropole fragmentée, où l’urbanisme et la dépendance à la voiture ne favorisent ni les rencontres ni l’émergence d’une vie collective.
Ce projet prend racine à Esquina de Abuela (« Le Coin de la Grand-Mère »), un lieu hybride entre squat artistique temporaire et centre culturel, où se tiennent des événements pour et avec les communautés locales, dans le quartier latino d’Allapattah. Habité lors d’un premier voyage solitaire en 2018, cet endroit m’a ouvert une porte vers un Miami plus intime et méconnu, ou mon travail s’étend à mesure que j’expérimente le Miami Dade County.
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Chaque rencontre me mène à une autre, lorsque je suis introduit à quelqu’un par quelqu’un. Et parfois ces échanges donnent lieu à de nouvelles photographies. Je traverse ainsi leur monde, de Liberty City au cœur de Miami, jusqu’à Florida City, la dernière ville au sud du comté. Pourtant, je reste en surface, m’adaptant à la dynamique de chaque interaction, infiltrant rarement l’intimité des gens. Tout semble à la fois brut et éphémère, et parfois, j'ai moi-même l'impression de me laisser gagner par cette fébrilité.
Ainsi, ce travail repose sur la possibilité, ou non, d'aller vers l'Autre – autant moi vers eux, qu’eux entre eux – dans une société encore très ségréguée. Cette séparation se trouve accentuée par l’usage prédominant de l’espagnol dans un pays anglophone, par le port d’armes à feu, ainsi que par l’adoption de chiens réputés agressifs – autant de raisons de se protéger d’autrui et de le maintenir à distance. Les photographies de « Miami, not the Beach », oscillant entre implication personnelle et observation distante, créent une tension entre proximité et détachement, ouvrant ainsi un espace de réflexion sur le vivre-ensemble et l’entre-soi.
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Crédit : Edoardo De Ruggiero
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Le 28 novembre 2022, je me suis lancé dans un périple de 1 550 km avec un adolescent de quinze ans, S., à un moment charnière de sa vie. C’était sa dernière chance de réinsertion avant d’être placé dans un centre de détention pour mineurs. Avec un budget quotidien très limité, nous avons traversé des terrains difficiles – des rivières déchaînées aux montagnes enneigées – en plein cœur de l’hiver, passant Noël et le Nouvel An sur la route.
Le jeune homme savait que, s’il le souhaitait, il pouvait à tout moment arrêter cette expérience et revenir à sa situation précédente. Ce chemin représentait un véritable carrefour : continuer à marcher ou faire face aux conséquences de son passé troublé. Comme beaucoup de jeunes marqués par des expériences de vie difficiles, S. avait traversé ses propres tragédies, et ce voyage représentait une de ses dernières chances de s’en libérer.
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Crédit : Edoardo De Ruggiero
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Le parcours a été éprouvant pour nous deux. C’était un espace émotionnel clos — 90 jours à partager la charge physique et mentale d’une telle épreuve. Mes pieds saignaient pendant le trajet, et je luttais contre des sentiments de solitude et de tristesse. Dans cet endroit de désespoir, j’ai découvert une tendresse déroutante, une manière de surmonter les expériences personnelles et de me connecter à une compréhension plus profonde des forces de la vie.
La photographie est devenue un moyen de capturer non seulement des moments de désespoir, mais aussi la résilience et la force qui ont émergé de ces défis. Et j'ai appris que donner et recevoir sont profondément liés : en documentant son combat, j’ai moi-même été profondément transformé par l'expérience.
Les contraintes légales entourant la photographie d’un mineur sous supervision judiciaire étaient complexes. Bien que la loi exige un consentement écrit pour l’utilisation de l’image d’un détenu, elle ne leur accorde pas un contrôle absolu sur celle-ci. Pour la Protection Judiciaire de la Jeunesse, qui avait S. sous sa protection légale, son identité devait être effacée, son visage flouté, même avec le consentement écrit de sa famille. Pour moi, photographier S. consistait à lui rendre son droit à être représenté. C’était lui permettre de se voir, non pas comme un simple numéro de dossier ou une figure floutée, mais comme une personne dotée de sa propre agence. Il est essentiel de préciser que mon objectif n’était pas de mettre en avant l’histoire personnelle du jeune homme. Conscient des enjeux de protection et de confidentialité entourant les mineurs, j’ai pris toutes les mesures nécessaires pour garantir le respect de ses droits.
Obtenir l’autorisation de montrer le visage de S. dans les photographies a été un processus long, nécessitant des mois d’échanges avec les institutions et les tuteurs légaux. Plus d’un an s’est écoulé avant que je puisse rendre ces images publiques.
Aujourd’hui, je continue à documenter le parcours de S., alors qu’il retourne à la vie quotidienne, au-delà du pèlerinage extraordinaire que nous avons partagé. La prochaine étape de ce projet se concentrera sur son passage à l’âge adulte, affrontant l’incertitude d’un monde où la stabilité semble souvent inaccessible, et où le destin – comme les étoiles – semble parfois à la fois nous guider et nous emprisonner.
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